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Le français n’est pas ma langue maternelle

Pourtant les premiers mots qui sont sortis de ma bouche étaient en français. Alors pourquoi dire que cela n’est pas ma langue maternelle ?
Quand je parle français, je dois faire un travail de traduction entre ce que j’ai dans la tête et ce que je désire exprimer, ça n’est pas automatique et demande un effort non négligeable

Dans ma tête, c’est un ensemble d’images, de concepts graphiques, de schémas qui s’entrechoquent. Quand je désire les exprimer, il m’est nécessaire de faire deux opérations, la première est de construire une phrase, au sens syntaxique, puis d’y insérer les idées que j’aurai traduites des images que j’ai dans la tête.

Pour la première partie, construire des phrases correctement avec un sujet, un verbe, un objet, n’est pas le plus compliqué.
Cela se corse dans la deuxième partie, où il faut transformer des images en mots puis les insérer dans la phrase, pour réussir à transmettre une idée.
Je dois faire le même travail de traduction, dans l’autre sens, lorsqu’on me parle, où je construis des images de plus en plus nettes au fur et à mesure que je transforme les phrases entendues.

Malheureusement, la traduction n’est pas toujours de bonne qualité et peut passablement me compliquer la vie. Même si mes phrases sont plus ou moins toujours bien construites, elles semblent être vides de sens pour mon interlocuteur, l’inverse étant aussi vrai, quand je comprends les mots que j’entends, que je repère la syntaxe, mais que dans ma tête cela reste une soupe de mots, qui ne déclenchent aucune image.
Il m’est arrivé de m’entendre dire « j’ai rien compris, mais que voulez-vous me dire ? » ou de moi-même dire, « j’ai bien compris tout ce que vous m’avez dit, pourtant j’ai rien compris »

J’ai trouvé un moyen d’imager ce concept, j’explique que c’est comme un train de fret.
La syntaxe de mes phrases sont comme l’organisation du convoi, la place de la ou des locomotives et des wagons, c’est une partie que je maîtrise pas trop mal.
Le fret disposé dans les wagons marchandises, sont les idées que j’essaie d’envoyer à mon interlocuteur. Mais il arrive assez souvent que les wagons ne soient pas du tout remplis, voire totalement vides ou alors qu’ils soient très mal organisés, des caisses fragiles étant abîmées par des plus lourdes ou nécessitant un tri important une fois arrivées à destination, parce que c’est un gros bordel, même si tout le fret est présent.

Ce problème apparaît aussi pour la définition de nombreuses choses, comme les mots. Si je regarde la définition d’un mot que j’ai de la peine à comprendre, quand sa définition est très abstraite et ne me permet pas d’en produire un début d’image ou de construire un schéma où il y trouvera sa place, j’aurais beau relire des dizaines de fois, cela ne produira qu’une page blanche dans mon cerveau et à part mémoriser la définition de manière bête et méchante sans rien n’y comprendre, il n’y a aucune chance que je puisse à mon tour expliquer le sens du mot et pas plus le comprendre.
Dans ce cas, il est préférable que je m’appuie sur des exemples concrets où le mot est utilisé et qui, eux, provoqueront des images d’où je pourrai en extraire la partie qui concerne le mot qui me pose problème, il me faut souvent plusieurs exemples pour me permettre de trouver quelle partie de l’image est présente dans chacune d’elles, qui sera très probablement celle qui correspond le mieux au mot.

Les gens qui me connaissent et comprennent mes difficultés, lorsqu’ils me demandent de donner la définition d’un mot, pour être sûrs que l’on s’est bien compris, ne sont pas surpris que je dise « euhhhhh, attends, tu ne veux pas regarder dans le dictionnaire » et très souvent le mot est correctement utilisé, ils savent que le problème n’est pas mon incompréhension du mot, mais mon incapacité à transcrire l’image mentale de ce dernier. Ce n’est malheureusement pas le cas pour les autres qui souvent pensent que j’utilise des mots dont je ne connais pas la signification et appliquent des jugements réducteurs sur ma personne.

Il m’arrive aussi assez souvent d’avoir un mot manquant, je dois trouver un synonyme car il ne vient pas, mettre la main sur ce dernier quand on n’a pas le mot « d’origine », c’est assez compliqué en soit, j’ai eu le cas avec « légitime » récemment (oui, j’avais de la peine à me sentir légitime à parler d’autisme), j’ai dû donner le début de ma phrase et des concepts approchant pour que la personne en face de moi me propose « légitime », quel soulagement, 3 jours que je le cherchais. Depuis c’est un mot qui met toujours du temps à venir, heureusement, je me rappelle du premier phonème du mot, ne me reste plus qu’à chercher dans ma base de donnée de mots, qui pour le coup sont mémorisés par leur sonorité. Je crois que l’expression « comprendre tard pour bar », même si je ne connais pas son orthographe et son sens exact, me parle au niveau auditif.

Je peux aussi mélanger des mots qui sonnent de manière similaire ou ne pas comprendre une phrase, car dans le contexte où je l’ai placée, je choisis mal le mot dans la liste de ces derniers à sonorité approchante, ce qui donne souvent un sens absurde à la phrase et des images mentales plutôt comiques.

Cela se complique encore plus quand on passe à la lecture ou l’écriture, il y a des dys qui viennent mettre un petit grain de sel supplémentaire, mon orthographe est purement graphique, si je me trompe, je vois qu’il y a un problème, mais je ne peux pas forcément dire où il est, je dois essayer différentes combinaisons qui produisent les bons phonèmes avant de trouver l’orthographe qui me semble correcte, le mot est beau, mais si j’ai mémorisé une forme que je pensais juste, il m’est très difficile de corriger son image mentale.

Malheureusement la grammaire graphique n’as pas beaucoup de sens, le fait de traiter mot à mot ce que j’écris ou lis m’empêche souvent de voir des problèmes d’accord ou de conjugaison (Je profite pour remercier mes différents lecteurs/correcteurs qui me permettent de m’assurer que mes articles ne sont pas crépis de fautes, lisibles et compréhensibles).

Il n’est pas rare qu’il manque des mots dans mes phrases ou que des parties de phrases soient répétées sans que je sois capable de le voir même après 10 relectures et si je lis à haute voix, les parties manquantes ou en trop seront corrigées sans que je m’en rende compte.

Il se passe une chose marrante quand je lis un texte à haute voix, il est très rare que j’arrive à lire un texte sans intervertir des parties de ce dernier, je m’en rends compte et je corrige les phrases en cours de vocalise pour qu’elles conservent leur sens, ce qui ne se remarque pas pour l’auditeur. Si je le dis correctement, je croche sur beaucoup de mots et parle de manière saccadée, alors que si je le lis dans ma tête il est fluide et je ne le « remix » pas.

Pendant longtemps, on ne me croyait pas mais une fois je me suis retrouvé à devoir lire un bout du petit prince en binôme devant une cinquantaine de personnes, j’ai averti que je pouvais créer des surprises de ce genre, on a répété encore et encore, le jour J, la forte charge sensorielle et émotionnelle n’a pas aidé, mais personne n’a remarqué que c’était une version « remix » qui est sortie de ma bouche, sauf mon binôme qui avait aussi mon texte sous les yeux.

Je ne me suis pas encore intéressé à décoder le pourquoi du comment, je compléterais quand j’aurais mieux appréhendé le processus.

Photo de feliperizo.co | heart made

2 commentaires sur “Le français n’est pas ma langue maternelle”

  1. En lisant ton article je me sens moins seule tout d’un coup! ^^
    Le processus mental que je dois mettre en place pour formuler mes phrases, au moyen de schémas visuels, que je dois ensuite transcrire à l’oral est très similaire au tien.

    Je me questionne sur l’origine de ce processus: est-ce cela fait partie intégrante du fonctionnement de type autistique? Où est-ce simplement l’analyse profonde d’un même configuration mentale qui existerait chez tout le monde, à la différence que ce processus serait, sauf exception, conscient uniquement chez les autistes? Dans le sens où, simple hypothèse de ma part qui n’a aucune valeur scientifique, que cette différence pourrait être la conséquence directe de notre difficulté de notre cerveau à traiter et à hiérarchiser les informations.

    Avec le temps le processus est devenu plus rapide et c’est affiné, mais il est toujours là comme une trame de fond. J’ai intégré pas mal d’automatismes qui me permettent de faire du copier-coller face à certaines situations types. Acheter du pain à la boulangerie par exemple ne me pose plus vraiment problème comme autrefois, même si à chaque imprévu, aussi minime soit-il, me demande un temps d’ajustement.
    Cependant quand il n y a trop de stimulis parasites dans mon environnement et/ou une forte attente de la part de l’autre à laquelle on m’oblige d’y répondre, souvent rapidement, je perd vite le fil et mes concepts s’embrouillent. Je suis facilement déconcentrée et surchargé par toutes ces infos et les phrases que je sors dans ces situations sont généralement incohérentes. La fonction traduction ne se fait plus correctement. Et il n y a rien de plus frustrant que de se voir reprocher son manque de précision, malgré tout nos efforts fournis pour en arriver à ce résultat. Résultat que l’on sait déjà soi-même très médiocre, en comparaison de notre faculté, innée à faire facilement des liens entre les choses, difficilement exprimables que l’on vit en interne. Le décalage ressenti est énorme et c’est aussi difficile de ne pas se sentir compris. Dans mon cas, en revanche je n’ai pas de problème avec la lecture de texte.

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