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Le masquage

    C’est une compétence que certaines personnes avec autisme développent pour paraître plus socialement acceptable. Une tentative de se fondre dans la masse, de trouver une place dans une société qui ne les désire pas. Ce qui peut parfois très bien fonctionner, mais qui a un coût personnel énorme, en réalité, c’est une parfaite manière de perdre toute personnalité, en perdant toute chance de la développer. C’est aussi la source d’un autre fonctionnement de survie pour les personnes avec autisme, le scripting. J’en parlerais dans un autre article.

    Certains diront que c’est une chance, qu’elle n’est pas possible pour toutes les personnes avec autisme. Il est vrai que d’autres n’ont peut-être pas la capacité de le faire. Personnellement, sur ce point, je sais qu’il y en a qui sont moins bien lotis que moi. Le masquage m’a peut-être permis d’avoir un peu moins d’ingérence dans ma vie. Je vous renvoie sur l’article « Les autistes sont… » pour en connaitre plus sur mon point de vue sur le sujet.

    Si je peux penser que c’est une chance, et encore, je n’aime pas le mot, cela implique aussi de nombreux autres inconvénients. Comme il ne peuvent pas jouer un rôle qu’on leur a appris, on est obliger de les prendre comme ils sont. Par contre, c’est un bon moyen de les exclure encore plus facilement ou de vouloir les guérir sous prétexte d’une soi-disant dis-fonctionnalité plus visible. Mais qui de nous deux est le plus handicapé ? Pas forcément celui qui le pense, l’article éponyme est là pour vous.

    Jusqu’à assez récemment, les personnes ayant un autisme étaient « visibles », on peut remarquer la représentation que l’on a d’eux dans les films pour réaliser comment ils étaient perçus. Pourtant même si le taux de personnes diagnostiquées augmente, les seules hypothèses que je vois systématiquement sont environnementales ou génétiques. Il n’y a personne qui s’est dit « Peut être que cela augmente parce qu’il y a des profils que l’on ne considérait pas avec autisme avant ». Vous savez quoi ? J’en suis un, et j’en croise beaucoup d’autres, qui pour certains, sont loin de s’en douter. Nul besoin pour certains de devoir se faire diagnostiquer, ils ont trouvé leur équilibre.

    La pression sociale est aussi une cause de masquage important. Il est difficile d’être soi-même dans un société qui prône la culture de l’avoir. Avoir une situation, une réputation, de bonnes manières. Tout cela au dépend du développement de l’être. On vit dans un monde où il est plus important d’avoir l’air d’être bien dans sa peau que de l’être réellement. Je ferai un article plus complet sur le sujet. Je pense que pour les personnes avec autisme c’est un sujet très important qui conduit à leur bien-être.

    J’ai appris le masquage très tôt

    Et ceci, dès mes premières années de vie. L’école à été très « bonne » pour cela, malheureusement. C’est devenu un tel outil de survie, que j’ai très vite perdu là une chance de me découvrir et de m’apprécier pour ce que j’étais. J’étais, dès tout petit, un garçon différent et très sensible, pourtant tout ceux qui le disait ne l’ont jamais trop pris en compte, j’ai dû m’adapter. Comme pour les troubles d’apprentissage d’ailleurs. Je vous partage un commentaire extrait d’un carnet, écrit par une maîtresse, j’avais 8 ans, il y a presque 40 ans.

    Il est très lent dans la réalisation de ses devoirs écrits, et rend souvent des exercices émaillés de fautes d’inattention ou incomplets. Il saute des mots, voire des phrases entières, et comme il ne se donne pas la peine de relire le texte, il ne s’en aperçoit pas. Il peut avoir une jolie écriture mais en ce moment elle est trop grosse et les lettres sont mal formées. Il doit fournir de sérieux efforts pour travailler plus rapidement et mieux se concentrer.

    Même ce qui était problématique à l’époque, j’ai réussi à partiellement le masquer avec le temps. Parce qu’il était inimaginable qu’avec mes, soi-disant, capacités, je ne puisse pas y arriver. De nouveau en générant beaucoup d’anxiété, liée,en partie, à la pression de la réussite.

    En fait, la capacité que j’ai développé le plus, c’est le masquage, visiblement plutôt bien, parce que personne ne s’en est vraiment rendu compte.

    Ce qui est problématique, c’est que mieux je masquais, plus on me poussait, plus je devais masquer. Et cela ne s’est pas arrangé avec le temps, car c’était la seule stratégie que je connaissais.

    Le monde du travail

    Comme j’ai travaillé pendant une 20aine d’années, c’est aussi un lieu où j’ai pu exploiter et développer cette compétence qu’est le masquage. Être le plus parfait comédien possible était parfois plus important que de réaliser une tâche de la meilleures manière. Au début de ma carrière professionnelle, qui était dans « l’avoir », avoir un travail et une situation. Je pétais très régulièrement les plombs, mais du fait de mon jeune âge et de mes capacités, ce que j’apportais à mon employeur surpassait les inconvénients de mes fréquents pétages de plomb, coups de déprime, etc.

    Mais pour être franc, j’arrivais toujours à trouver des postes, où 2 heures de travail efficace me permettaient de produire ce que les autres faisaient en 8 heures, me restait 6 heures de comédie à combler, de toute façon, j’étais grillé et plus productif après ces 2 heures. J’ai aussi réussi à avoir des postes avec un statut de cadre. Là, c’est plus le résultat qui compte que le temps de travail. Quand, en plus, tous vos collègues et responsables sont basés à l’étranger, rien de plus facile de ne pas forcément être souvent au boulot ou de travailler à la maison, sans que personne ne s’en rende compte.

    Mais la réalité, c’est que la seule chose qui était présente dans ma vie, c’était mon travail après, je n’étais plus rien. Si, un gros fumeur de cannabis qui chillait sur son canapé. Difficile d’avoir une vie sociale quand on a utilisé toutes ses ressources pour jouer la comédie au travail.

    Socialement, c’est aussi une stratégie

    Comme, le « vrai moi », que je ne connaissais finalement pas tellement, n’était pas montrable. Parce que, en plus, j’en avais honte. Les gens à qui je pouvais plaire, ne me correspondaient pas vraiment. L’article « Il vaut mieux être seul que mal accompagné » est là pour approfondir.

    Les rares fois où je pouvais en rencontrer, je ne suis pas un cador des relations sociales, j’avais même tendance à les rejeter. Il n’aurait quand même pas fallu que je casse ma belle image et gare à ceux qui essayaient de passer outre l’armure !

    Le pire c’est que j’adaptais mon jeu à ceux que je rencontrais. J’étais une personne différente en fonction de la personne que je rencontrais. Il m’était donc exclu de les voir en même temps, sinon ils se seraient rendu compte que je dissonais fortement. La cloche qui est représentée dans la dissonance cognitive.

    Je n’étais même pas moi avec moi-même. De toute façon au bord du gouffre à chaque fois que le rideau se fermait. Une vraie marionnette.

    Se faire démasquer

    C’est le pire qu’il peut arriver quand on masque. Mais c’est arrivé très rarement. Malheureusement souvent les gens qui me démasquaient, l’utilisaient pour mieux profiter de moi. Mais heureusement cela arrive que ce soit par des personnes bienveillantes. Cela m’est arrivé lors d’un cours de « seul en scène ». 2 jours et demi, pour apprendre un texte et le jouer devant un public de… 2 personnes en plus des autres participants au cours.

    Le formateur, aussi comédien, avait choisi par avance quelques textes. Il nous demanda de jouer quelques minutes une improvisation, pour choisir celui qui nous correspondrait, texte qu’il faudrait mémoriser. Il ne faut pas oublier qu’à cette période je ne me savais pas encore propriétaire d’un autisme. Juste d’une d’une attention assez diffuse, quoique je maîtrise l’hyperfocalisation, avec pas mal d’hypo/hyperactivité, que le monde de la médecine nomme trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.

    Au moment de lire le texte qu’il avait choisi pour moi, c’était un gros choc. Comment avait-il pu lire en moi aussi bien ? En fait je venais prendre un cour de comédie où en fait je n’allais pas la jouer, contrairement à tout le reste du temps…

    Comme j’ai gardé le texte et retrouvé sa source, je n’en connaissais même pas le titre qui, il faut l’avouer, m’allait comme un gant. Voici le texte.

    Six personnage en quête d’auteur

    FREDERICK. Dire à un comédien: « je t’aime », c’est aussi sot que de complimenter un caméléon sur sa bonne mine. Nous ne sommes pas fréquentables, mesdames et messieurs, il nous faut vivre entre nous, copuler entre nous, nous reproduire entre nous. Nous savons jouer la comédie de l’amour, certes, mais quand il s’agit d’aimer à notre tour… Nous ne pouvons pas garder un rôle trop longtemps, nous finissons toujours par le jouer mal, puis l’ennui nous fait fuir. La vie réelle exige d’avoir du poids, de la consistance; or la scène nous demande d’être légers. (En direction de Bérénice.) Laissez-nous la scène, nous vous laissons la vie. (Avec ivresse.) Car nous, nous ne sommes pas doués pour la vie, nous sommes doués pour les vies, les vies multiples, contradictoires, diverses. Libertin de pensée, menteur de profession, infidèle de tempérament, le comédien n’a qu’une maîtresse, la salle, cette présence ombreuse, cette grosse patte de chat qui palpite, imprévisible, et d’un instant à l’autre peut caresser ou griffer. Voilà le seul rendez-vous quotidien qui nous intéresse, la salle, celle où nous nous précipitons tous les soirs après des journées de somnambules, la salle aux terribles bravos qui nous récompensent et nous rendent, épuisés, à nous-mêmes, cette salle où nous voulons vivre et où nous rêvons de mourir, comme Molière, pour que notre dernier geste, lui aussi, soit encore un spectacle. La salle, vous, notre seule fidélité, notre seul amour indéfectible. Mesdames et messieurs, je vous annonce ce soir un heureux événement: mon prochain mariage. Et je vous présente ma femme.

    Luigi Pirandello (1921)

    J’avais l’impression que cela parlait de ma vie, dans toutes ses facettes, enfin toutes mes facettes. De plus, quand j’ai découvert le titre de cette pièce de théâtre, j’ai de suite tiré un parallèle entre les personnalités multiples que je pouvais arborer. Je n’étais pas l’auteur de ma propre vie, juste le comédien de cette dernière. Toujours en quête d’un auteur, qui était souvent la personne avec qui j’interagissais. J’étais à la limite le metteur en scène. Mais la vie, ma vie, cela n’aurait pas dû être de la comédie.

    Vous imaginez qu’il m’a été totalement impossible de mémoriser ce texte en si peu de temps. En plus, surstimulé par l’environnement et le choc de ce texte. J’ai beaucoup de plaisir à le relire avec du recul. ça me permet de voir les progrès effectués depuis. En plus en commençant à le répéter en situation. Mes problèmes de proprioception ont apparus. Il m’était difficile de gérer tout l’espace de la scène et je ne savais pas que faire de mon corps.

    C’est là que le talent de mon formateur est entré en jeu. Non seulement, il a accepté mes limitations. Pas de fais attention, tu pourrais faire un effort. Mais en plus de la bienveillance, ce qui à mené à trouver des solutions, ensemble, pour contrer mes difficultés.

    Après plusieurs tests, on a opté pour un pupitre où il a été possible d’y poser mon texte et de m’accrocher fermement. C’était un point de repère dans l’espace important pour moi. Et pour la manière de déclamer le texte, il m’a proposé de le faire comme un syndicaliste ou un homme politique en campagne. C’était bien approprié avec le pupitre. Soudainement avec ces petits aménagements, tout a changé. Il avait bien fait de me démasquer, et il n’avait pas essayé de l’utiliser contre moi, mais avec moi.

    Le coût du masquage

    Il y un coût faramineux, d’autant plus si vous arrivez à le faire durer. La charge cognitive est très importante, l’épuisement constant. Mais en bon masqueur, ça aussi on arrive à le masquer, enfin pas tout le temps. Il y a des moments où ça explose fort. Et si on ne masque pas, on part en meltdown.

    J’ai tellement tiré sur la corde, que j’en ai perdu mon système digestif, immunitaire, à tel point qu’on me pensait séropositif, et même fini par faire des AVC. Paradoxalement, ces derniers, auront été salvateurs, ils m’ont permis de changer de voie. Mais je n’ai pas forcement arrêté de masquer pour autant.

    Le masquage ça tue, je n’ai que peu de doute sur ce fait.

    De plus masquer, c’est le meilleur moyen de finir par se perdre, ne plus savoir qui on est. Encore moins savoir où l’on va aller. C’est une activité au jour le jour. Elle provoque un ouf de soulagement à la fin de la journée « ouf, j’ai réussi à finir cette journée ». A tel point qu’on en dort plus, pour ne pas que cette journée s’arrête, comme on la finit loin de tous, sans masque, avec une grosse déprime.

    Il participe aussi au développement d’une phobie sociale, de troubles anxieux, de traits borderline, paranoïaques, et même schizotipiques. Des personnes de mon entourage qui ont pu découvrir les différentes facettes que je présentais, m’ont avoué avoir soupçonné que je sois schizophrène. Ils ont été trop vite.

    Et maintenant

    Voilà plus d’une année que j’essaye de ne plus masquer. Avec certaines personnes, c’est devenu plus rare, mais c’est loin d’être automatique. C’est encore souvent le masquage ma première nature. Comme tout, il faut du temps pour réussir à les enlever. Quelqu’un m’a dit un jour:

    On met 20 ans à apprendre et beaucoup plus à désapprendre

    Je ne crois pas qu’il réalisait à quel point ça allait me parler un jour. Il ne faut pas oublier que désapprendre, laisse la place à de nouveaux apprentissages. Celui de se découvrir, de s’apprécier, de fleurir et de se créer un monde et de le découvrir, sans fioritures.

    De plus en plus souvent, quand je masque, je m’en rends compte, mais pas sur le moment. En m’analysant par la suite. Et parfois ça me fait même rire. Et quand je ne masque pas, je me suis rendu compte que mes échanges pouvaient faire rire les gens.

    C’est une chance de les faire rire rien qu’en étant sincère, ou parfois de les toucher. J’espère réussir à garder ma candeur dans ce monde de narcissiques qui ne m’y incite pas. Mais je vais surtout essayer de ne plus reproduire ces comportements aussi nuisibles que destructeurs. J’en avais même fait un verbe, je disais que je caméléonais. Il m’arrivera sûrement de le faire occasionnellement, quand cela pourra me permettre de ne pas me mettre dans une situation compliquée avec une personne qui n’aura, finalement, très peu de temps à passer dans ma vie, si ça peut l’en faire sortir plus vite, je masquerais un petit peu ^^

    Même si vous ne me connaissez probablement pas, quand j’écris un article, je ne masque pas. Et je ne m’intéresse pas aux jugements que cela peut provoquer.

    Bas les masques ! Parce que pour savoir où l’on va, il faut déjà savoir qui et où l’on est, c’est la règle de tout bon cheminement.

    Photo by Alex Iby

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