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Avoir ou être ?

    C’est un dilemme qui se présente à tous. C’est aussi le titre d’un livre d’Erich Fromm. Ses écrits m’ont beaucoup influencé, à commencer par « L’art d’être » que j’ai lu il y a une vingtaine d’année. Pourtant, malgré tout ce que livre a pu m’apporter sur la compréhension de mon fonctionnement, j’ai pendant longtemps continuer à être dans l’avoir.

    Il n’est pas simple d’être dans une société qui prône l’avoir entre autre par la possession comme étalon de ce que l’on est. C’est aussi un fonctionnement que je trouve absurde d’un point de vue autistique. Pourtant comme beaucoup j’ai essayé, pendant longtemps, d’être dans l’avoir, un peu à contre-courant du chemin que mon fonctionnement cognitif m’incitait à suivre. Une manière de masquer, suivant des préceptes sociaux, qui finalement, me provoquait beaucoup de dissonance cognitive.

    Différence en être et avoir

    Pour commencer, il peut être judicieux de définir ces concepts de manière succincte. Comme Erich Fromm l’a fait de très belle manière, je vais citer quelques passages de ses écrits.

    Commençons par le 4ème de couverture d' »Avoir ou être » qui, il faut le rappeler, a été édité en français en 1978.

    « Avoir ou être? » Le dilemme posé par Erich Fromm n’est pas nouveau. Mais pour l’auteur, du choix que l’humanité fera entre ces deux modes d’existence dépend sa survie même. Car notre monde est de plus en plus dominé par la passion de l’avoir, concentré sur l’acquisivité, la puissance matérielle, l’agressivité, alors que seul la sauverait le mode de l’être, fondé sur l’amour, sur l’accomplissement spirituel, le plaisir de partager des activités significatives et fécondes. Si l’homme ne prend pas conscience de la gravité de ce choix, il courra au devant d’un désastre psychologique et écologique sans précédent… Erich Fromm trace les grandes lignes d’un programme de changements socio-économiques susceptibles de faire naître en chacun de nous une réflexion constructive.

    Je trouve que ces lignes écrites il y a plus de 40 ans prennent un sens encore plus fort quand on observe l’évolution de la société durant cette période.

    Quel serait son point de vue sur le monde actuel ? Il est mort en 1980.

    Avoir ?

    J’ai connu pendant longtemps ce mode de fonctionnement « avoir pour être » et il m’arrive encore régulièrement d’être encore dans ce travers. Agissant par mimétisme, j’ai reproduit le comportement majoritaire. On pourrait dire « c’est la société ». Mais la société c’est une entité qui n’existe que par ceux qui la compose. Et la société c’est vous, c’est moi, c’est nous tous.

    Je n’existais que par ce que j’avais. Un travail, un salaire, une belle voiture, des biens. La perte de ces éléments pouvait être source de perte d’identité. De plus, j’avais l’impression de nager à contre-courant de ma personne. C’était déjà une forme de masquage, cette norme qui définissait ce que j’étais plus que mes valeurs. Au niveau dissonance cognitive, on peut difficilement faire mieux.

    Je me rappellerai toujours la fois où je me suis acheté une voiture neuve que je trouvais très belle. J’avais l’impression d’avoir eu une démarche réfléchie, pendant des mois, pour que ça soit un achat raisonnable. Pourtant, le jour où j’en ai pris possession, je suis sorti du garage tout content. 100 mètres après, je me suis dit:

    T’es con, t’as acheté une jolie voiture alors que tu va passer ton temps dedans et pas voir l’extérieur.

    Quand la logique reprend le dessus, il peut y avoir de belles surprises. Et en effet, j’ai été un peu con…

    Le modèle à suivre était clair, affiché sur tous les murs des villes et dans tous les écrans de TV. Si tu ne l’as pas tu dois l’avoir. Souvent je trouvais ce raisonnement absurde. J’avais un gros problème avec la publicité. Je me disais, c’est de la merde, mais ce n’en était pas.

    Un rencontre avec un publiciste m’a permis de définir et donc de régler la notion de publicité, je lui demandais comment je pouvais décrire la publicité à un enfant. C’était ce que je préférais à la TV quand j’étais petit. « C’est des mensonges et c’est très bien fait », me répondit-il. En effet, c’est un domaine où l’étude de la psychologie et son exploitation dans un but mercantile a été poussé à son paroxysme. Je vous avais précédemment parlé d’Eward Berneys à ce sujet.

    Je ne comprenais absolument pas, et encore maintenant, le concept d’avoir des services de vérification de la publicité, comme le bureau de vérification de la publicité, devenu l’autorité de régulation professionnelle de la publicité depuis, chargé d’appliquer les règles déontologiques du secteur. Nous pouvons constater que, dans la réalité, les règles ne semblent pas être appliquées

    L’avoir n’est pas que matériel

    Les problèmes de généralisation que j’ai, comme beaucoup de personnes avec autisme, ont rendus difficile le constat que j’utilisais avoir pour beaucoup d’autres sujets, qui ne sont pas matériels. Avoir des amis, des souvenirs, de l’influence, du pouvoir. Là aussi je jouais le jeu.

    Et oui, je me suis rendu compte avec le temps que posséder toutes ces choses, me donnait un certain statut social. Cela me permettait de me sentir un peu plus comme les autres. Cela ne me rendait, par contre, pas heureux du tout. Vous avez remarqué ? Avoir un statut social, être défini par ce dernier. J’étais toujours dans l’avoir.

    Et je trouvais mon comportement absurde, c’était de pair avec la découverte de mon autisme.

    Je vous partage quelques lignes sur la possession je trouve très intéressantes quand on les transpose sur la prise en charge de personnes neurodivergentes.

    Un être humain peut aussi devenir objet de possession ou de convoitise. Qui s’empare d’un être et cherche à le posséder, ne le dit pas ouvertement. Il le considère comme sa possession, en prétendant, avec ménagement, qu’il prend soin de lui ou qu’il en a la responsabilité. Or, qui porte la responsabilité a le droit de disposer, et s’empare des enfants, des handicapés, des vieux, des malades et des désaxés comme si ils étaient sa propriété, et gare au malade qui s’avise de recouvrir la santé, gare à l’enfant qui veut faire sa vie ! C’est là que se manifeste la manière d’être déterminée par l’avoir.

    Erich Fromm « L’art d’être »

    Il y a quelques termes qui peuvent être choquant dans ce passage, mais il ne faut pas oublier qu’il a 50 ans.

    Il y a un domaine où j’étais très souvent dans l’avoir, c’était « avoir raison ». C’est visiblement une règle sociétale que j’avais bien intégré, avoir tort était signe de faiblesse, de moqueries.

    Et pourtant je me fais encore avoir…

    Ce comportement est tellement bien ancré, que je me fais encore avoir. Il y a quelque temps, j’ai candidaté pour faire un talk sur l’autisme et la neurodivergence. C’est des conférences réputées, plein de personnes sont fières d’avoir participé et de le mettre sur leur CV.

    J’ai été sélectionné. Ils ont exprimé une grande envie de m’y voir participer. J’ai fait part du fait que j’avais besoin de quelques aménagements. Cela semblait ne leur poser aucun problème. Mais très vite, rien n’a été respecté, changement de lieu de rendez-vous au dernier moment, dans des endroits qui me convenaient pas. Il me fallait quelques jours pour récupérer de la surcharge sensorielle. Et j’encaissais, je me rendais compte que les règles que j’avais données étaient rapidement bafouées pour leur propre confort.

    Mais comme j’étais encore dans l’avoir et que j’en parlais avec des personnes non-autistes, les remarques que l’on me faisait étaient du genre:

    Mais quand même tu as la chance de participer, tu pourrais faire un effort.

    C’est prestigieux, c’est bon pour ta réputation.

    De plus, il y avait beaucoup de validisme, pas nécessairement volontaire. Et je me suis aussi rendu compte qu’il semblait y avoir un certain désir de modifier mon discours. Dans un sens qui ne me plaisait pas beaucoup. Je commençais à me sentir comme un animal de foire qu’on allait exposer sur une scène.

    Finalement j’ai annulé ma participation, ce que peu de gens ont compris. C’est dommage, me disait-on.

    J’en ai parlé ultérieurement avec une personne (avec autisme) qui avait lui même participé à ces conférences. Son avis m’intéressait. Quand je lui ai expliqué et dit que j’avais annulé, il m’a répondu qu’il avait eu le même genre de sentiment. Et a ajouté:

    Ils n’ont pas dû comprendre que tu annules ta participation. Cela n’avait pas de sens de refuser cette notoriété alors que pour un autiste, c’est cette notoriété qui n’a pas de sens.

    Et oui, j’avais commencé la démarche pour le message. J’avais besoin de bonnes conditions pour le diffuser, je ne les avais pas. Même si pendant un moment de vieux travers m’ont fait hésiter, posséder n’était pas mon moteur et n’avait pas de sens logique.

    Et être ?

    Être n’est pas simple. On pourrait avoir l’impression que l’inverse est une évidence. « Je pense donc je suis » disait Descartes. Sauf que telle quelle cette phrase est extraite de son contexte. La pensée évoquée ressemble plus à une pensée critique.

    Être et avoir, ne sont pas inconciliables. Autant on peut avoir pour être, qu’il est tout à fait possible d’être en ayant. Dans ce cas, ce que vous avez, ne vous définit pas, ce sont des outils de votre développement personnel, de votre créativité artistique. Ce que vous êtes n’est que peu influencé par ces avoirs. Les perdre ne vous rend pas vide de sens.

    Je ne suis pas autiste. J’ai un autisme. Il ne me défini défini pas. Comme j’en parlais dans l’article « Les autistes sont… » ce n’est qu’une de mes nombreuses caractéristiques corporelles.

    C’est aussi un outil, qui comme tous, a des limitations. Essayez de faire la vaisselle avec un marteau…

    On peut aussi chercher tout ce qu’il m’aide à faire quand j’en prends soin. Vous en avez quelques exemples dans ce blog.

    Être en ne possédant plus rien.

    C’est une démarche qui m’a intéressé. Certains l’ont choisi, se débarrasser le plus possible de toute possession pour se rapprocher de l’être. Pourtant elle me posait un problème et de la dissonance cognitive.

    Ne pour rien avoir, cela devrait impliquer vivre nu dans la forêt. Et encore, pour aller plus loin cela ne devrait même pas avoir d’existence. Et donc ne plus être.

    C’est Erich Fromm qui m’a fait réaliser que cette démarche était aussi dans l’avoir. Se définir par une absence de possession, n’est foncièrement pas différent de se définir par ces dernières. Rien n’est pas rien.

    Qu’est ce que ça change ?

    Pour moi, beaucoup de choses, cela m’oblige à changer ma manière de penser et d’être. Ce n’est pas simple, cela impacte les nombreuses règles que j’ai apprises pour avoir un fonctionnement socialement acceptable. On notera aussi que ce qui est socialement acceptable maintenant, ne l’était pas toujours avant. Il ne l’est pas partout non plus

    Un exemple avec ce blog, quand je l’ai commencé, connaissant bien le domaine de l’indexation sur les moteurs de recherche, je me suis dit même avant d’écrire qu’il fallait que je fasse tout ce qui était nécessaire pour qu’il soit bien indexé.

    Mais pourquoi ? Pour avoir de la visibilité. À nouveau, l’avoir avait pris le dessus. Il est devenu indispensable que je me pose les bonnes questions. Cela permet de meilleures réponses.

    Si j’avais envie d’ouvrir ce blog, c’est pour m’exprimer, pouvoir poser quelque part mes réflexions et mon expérience de vie. C’est une forme de thérapie. J’aurais bien sur pu le faire sans publier sur le web. Cela aurait peut-être été plus intime.

    Je sais aussi que c’est le partage d’information d’autres personnes qui m’a aidé à découvrir mon autisme et à mieux le comprendre et l’appréhender. Comme découvrir un pays en lisant les carnets de voyage rédigé par des explorateurs. Même si cela ne remplace pas ses propres expériences, cela permet d’avoir des pistes. Si tout le monde recommence le voyage depuis le même point il est plus dur d’avancer.

    Donc, je me suis rendu compte que les sirènes de la popularité, de l’audience m’ont attirées par mimétisme. Mais cela ne me correspondait pas. Le plaisir de le maintenir, le développer, me relire est mon moteur. Si des gens le lisent, partagent leurs points de vue, c’est que du bénéfice. Et si cela peut aider quelqu’un, j’en serais très heureux.

    Mais si personne ne le lit, cela n’est pas grave, comme cela n’est pas le moteur, cela ne m’arrêtera pas.

    « Être pour avoir » et non « Avoir pour être »

    Je possède, par exemple, un ordinateur qui me sert à produire ce blog. C’est un outil, le détenir me permet ce travail de création. Du papier et un crayon aussi, me direz-vous. Tout à fait. Seulement avec ces derniers, des outils d’aide à l’écriture ne me seraient pas accessibles et la tâche plus compliquée.

    Comme mon ordinateur ne me définit pas, si je venais à le perdre, cela ne changerait pas ce que je suis. Je serais sûrement un peu embêté, mais j’aurais d’autres solutions. Celle de prendre du papier et un crayon serait une option.

    Plus haut, je vous parlais d’avoir raison, un objectif en soi. C’est quelque chose qui a bien évolué. Depuis que cela a bien disparu, cela a eu des effets surprenants. J’ai peu de problèmes à me dire que je me suis trompé et quand cela provoque des moqueries. Je m’en fous. Ne possédant pas la vérité cela ne me touche plus de ne pas l’avoir. Je ne veux plus la posséder, mais essayer de m’en approcher, de la découvrir, un peu comme la perfection, m’enrichit. Et si quelqu’un m’oriente dans sa direction, ce n’est que bénéfique.

    Prochainement j’écrirai un article pour remettre en question les articles que j’ai pu écrire, ils sont, peut-être, sûrement, plein d’erreurs, au début j’avais pensé les mettre à jour. Finalement je préfère en faire de nouveaux, c’est un bon moyen de garder le cheminent de pensée qui m’a permis de les écrire et, s’il y a des erreurs, d’en garder une trace pour essayer de ne pas les reproduire.

    On apprend de ses échecs, on savoure ses réussites.

    Et l’autisme dans tout ça ?

    J’ai l’impression qu’orienter sa vie dans le sens de « l’avoir » n’en n’as pas (du sens). Pour une personne avec autisme, c’est contraire à son fonctionnement logique. Si elle le fait, c’est surtout par mimétisme et par désir d’intégration, à ses frais.

    Toutes les personnes que j’ai rencontrées qui avaient l’air de ne pas trop souffrir de leur fonctionnement autistique, semblaient avoir une vie basée sur l’être. Ce qui n’est, tout de fois, pas aisé dans une société dédiée à l’avoir. Peut-être une des raisons d’avoir envie de s’en éloigner un peu.

    Il n’est pas impossible que je me trompe totalement ^^ Mon esprit critique, l’observation et mes échanges, me permettront probablement de m’en rendre compte.

    PS: je pense que les personnes sans autisme souffrent aussi de vivre dans l’avoir, mais la dissonance cognitive semblant être moins douloureuse ou les moyens de la réguler leur étant plus accessible, la souffrance provoquée est moins grande.

    Photo d’Alexandra

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