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Le sens du détail

C’est une particularité que partagent beaucoup de personnes avec autisme, souvent associée à un manque de vue d’ensemble. Fréquemment, il est aussi décrit comme un défaut, un excès à éliminer. De mon point de vue, ce sont des erreurs de compréhension et d’interprétations de comportement autistique.

Pour commencer, regardons quelle est la définition de ce mot.

– Chacune des parties qui concourent à la composition et à la formation d’un ensemble.
– Énumération des circonstances et des particularités d’un événement, d’une affaire.
– Ces circonstances, ces particularités mêmes.
– (En particulier) (Arts) (Architecture) Partie particulièrement remarquable d’un ensemble.
– (Commerce) Désigne l’action de vendre des marchandises à plus petites mesures, à plus petits poids qu’on ne les a achetées ; de les couper, de les diviser pour en faire le débit.

https://fr.wiktionary.org/wiki/détail

Le plus souvent mon sens du détail était associé à une trop importante attention à quelque chose qui paraissait futile pour mon interlocuteur. Déjà là il y a un problème. Ce qui est perçu pour d’autres comme un détail, ne l’est absolument pas pour moi.

Le non-sens du détail

J’ai tellement d’exemples de situations où mon sens du détail a été salvateur, tant dans le monde professionnel que social, que je pourrais en faire un livre. Et comme ma santé a été mon activité principale ces 7 dernières années, ce sens du « non-détail », puisque ce n’en est pas un, a fait des miracles. Enfin pas tout de suite, il aura fallu que j’arrive à me débarrasser du jugement des autres, autant que de leur aveuglement permanent. Au mieux, l’explication de toutes ces interactions fines me valait des surprises. Plus fréquemment des moqueries et des jugements.

Mais depuis que je me suis un peu détaché du jugement extérieur, j’ai pu valider par l’expérimentation que certains « non-détails » étaient des signes de problèmes et qu’ils étaient reproductibles, chose que j’ai fait plus que nécessaire. J’ai pu démontrer qu’il y avait une corrélation (précision pour les personnes sans autisme, je ne sous-entends pas causalité) entre ces « non-détails » et leur possible déclencheur. Je découvre que cela peut susciter de l’intérêt. Paradoxalement, maintenant que je sais que je suis dans le bon, je ne ressens plus trop le besoin d’avoir une approbation extérieure, souvent par des « spécialistes » du domaine, je m’en fous un peu.

Par contre, il est sûr que je suis surveillé par certains, comme le lait sur le feu. Toujours prêt à me faire remarquer une erreur, parmi mille prévisions correctes. C’est pas grave. Ça me permet de corriger et d’affiner. Si ils en sont là pour me remettre le doute, tant pis pour eux.

Vision d’ensemble

Il y a une chose qui me dérangeait dans cette notion de sens du détail définissant un fonctionnement autistique, c’est cette absence de vision d’ensemble souvent implicite, parfois exprimée. Et là, de nouveau, je ne suis pas trop d’accord. Bien sûr que je peux rater l’éléphant qui se trouve devant moi dans le couloir, obnubilé par la petite marque, sur le cadre de la porte, qu’il a laissé en passant, difficilement. En même temps je sais qu’il est là, il a laissé des traces.

Et j’ai trouvé un bon exemple en vidéo de l’absurdité de cette théorie. Vous connaissez peut-être Stephen Wiltshire. Une personne avec autisme que les médias aiment bien. Il semble bien représenter le mythe de l’autiste pour la société. Son travail est absolument génial. Il reproduit des scènes de tête après les avoir observées.

Voici, une émission que je vous invite à regarder sur une vue de New-York, qu’il reproduit

Il n’y a pas quelque chose qui vous dérange ? Pas de vision d’ensemble ? Ah bon ? Alors comment ce dessin est-t-il créé? Sans vision d’ensemble, tous les détails seraient totalement mélangés.

De plus, comme je suis curieux de nature, je me suis mis a décortiquer un peu les vues comparées, pas que je veuille montrer qu’il s’est trompé ou autre. Quand vous observez bien, vous remarquerez qu’il y a des zones qui ne correspondent pas à la réalité, comme des informations manquantes, et des zones où l’on retrouve des patterns, comme si il utilisait une forme de compression de données. C’est-à-dire, mémoriser un structure, et toutes les positions où elle se trouve.

La compression des données

Intéressant, c’est quelque chose que je fais aussi, stocker les occurrences d’une information similaire, au lieu de les stocker toutes séparément. Par exemple, j’associe les prénoms des gens à des animaux, pour les Caroline c’est une tortue, pour les Sophie une girafe. Autrement je m’en rappelle jamais et les mélange tout le temps. La compression des données pose des problèmes. Elle cause la perte d’une partie des informations. Il me sera très difficile de savoir parmi toutes les Caroline laquelle à une orthographe différente des autres.

Il me semble aussi logique d’avoir une forme de compression des données. Autrement, avec mes particularités cognitives, ma mémoire serait saturée depuis longtemps. Avec le temps je semble développer la capacité à mieux discriminer ce qui doit être comprimé et ce qui mérite plus de détails. J’ai réalisé que j’avais un gros souci avec la douleur, entre autre. Elle m’est difficilement détectable quand elle est légèrement différente. Je la ressens, elle m’influence, sans que je puisse la décoder. Elle est tellement légèrement différente de la fois précédente, que je coince. Au point de pouvoir dire que j’ai pas mal.

Depuis peu, je découvre que depuis toujours, les gens qui ont une place dans mon cœur, ne sont pas compressés, j’ai un double d’eux dans ma tête. Au fil du temps je peux interagir avec leur double avec beaucoup de finesse. Au point de les anticiper avec beaucoup de précision. Cela a peut-être été aussi une solution pour gérer la mort. Les personnes qui sont dans ma tête ne peuvent mourir que si je les oublie.

Sur cette terre, nos vies ne sont qu’un détail, tel la trace de l’éléphant. Essayons d’être une « partie particulièrement remarquable d’un ensemble ».

Photo de Bogdan Kupriets

4 commentaires sur “Le sens du détail”

  1. Pour la communication c’est, je pense plutôt moi qui me suis mal exprimée! ^^ J’ai compris le sens du mot « détail » dans ta phrase…qui n’en est pas un.

    Ne pas savoir qui on est, c’est terrible, j’en sais qq chose. De mon côté j’ai essayé de « guérir » mais en vain, comme tu peux le deviner. Même si je ne me savais pas malade au fond, que c’était comme cela que je fonctionnais je m’autopersuadais que j’allais guérir … Un vrai paradoxe sur pattes! Quant on ne peut mettre de nom sur son fonctionnement il me parait difficile de penser (d’abord) à soi, étant donné que l’on connait pas cette facette de notre identité. A présent j’apprends à composer avec elle et j’essaye d’être plus à l’écoute de mes besoins.

    Et pour le choix des images pour tes articles, bravo! Je les trouve esthétiques et en même temps très parlantes!

    1. Dans les règles de la communication, il y a déjà un émetteur et un récepteur, quand le signal ne passe pas bien il est, de mon point de vue, erroné de ne chercher qu’un responsable. C’est plus souvent une mauvaise synchronisation. Je sais pas si tu as remarqué mais, souvent, quand l’émetteur est une personne autiste, c’est lui le responsable de la mauvaise compréhension. Alors que si c’est un touriste étranger, on entend plus souvent le récepteur dire « Je ne vous ai pas compris ». Le mot utilisé était vraiment pas le bon, parce que ce n’était pas un détail pour moi 😉
      Ne pas savoir qui on est c’est aussi la source pour faire absolument n’importe quoi, et parfois avec de grave conséquences, je te renvoie sur la citation d’Elliot Alderson en bas de l’article « Les séries TV » qui, je trouve, sonne tellement fort sur la quête de cette personne que l’on ne croit pas connaître alors que en fait, beaucoup mieux qu’on ne le pense. Il faut réussir à enlever tout ces masques qu’on a tellement l’habitude de porter qu’il devient difficile de savoir si ils en sont vraiment.
      L’article sur le masquage arrive tout bientôt ^^
      Merci pour les photos ! Je me rappelle toujours du slogan d’un magasine, le poids des mots, le choc des photos.

  2. « Avec le temps je semble développer la capacité à mieux discriminer ce qui doit être comprimé et ce qui mérite plus de détails. »
    Cette phrase fait écho en moi! De mon point de vue cela relève, du moins dans un premier temps, du formatage (notamment les attentes du milieu scolaire et plus tard professionnel) qui nous pousse à developper cette capacité à discriminer « ce qui est important » ou non et les éléments sur lesquels on doit attirer notre attention.
    En effet cela est plus complexe que cette fameuse vision/perception en détails qui est très souvent mentionnée dans l’autisme.
    Je dirais plutôt que c’est une question de langage, pas seulement oral mais aussi visuel qui est différent.

    1. C’est marrant j’ai utilisé « détail » pour quelque chose qui n’est n’était pas un pour moi 😉
      Oui, pour moi il y avait un conflit entre les commentaires des autres et mon ressenti. On m’expliquait comment je devais penser, agir alors que c’était contraire à ce qui me semblait ce que je devais faire. Au point que j’ai commencer à dire que j’avais le droit de me faire une opinion propre, même sur des sujets qui semblaient basiques. Cela m’a conduit à ne plus savoir si c’était un détail pour moi ou pour les autres, je ne savais plus trop qui j’étais en fait, je pensais pour les autres, agissait pour les autres.
      J’ai, comme t’as pu le voir, encore tendance à utiliser des mots qui ne me corresponde pas, ça change gentilement. Pour chaque article, il est pas rare qu’il me faille 30 – 60 min pour choisir la bonne image d’en-tête, parce que c’est important pour moi.
      Pour la phrase qui concerne la compression des données, j’aurais du écrire « plus d’informations » à la place de « plus de détails »
      J’ai encore beaucoup de progrès à faire en communication ˆˆ

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